Où la vie imite l’art.

Nigel Franks
4 min readJan 19, 2021

L’histoire d’une horreur quotidienne

C’est une intrigue classique et banale pour un film ou un livre catastrophe: un chercheur innocent fait une erreur et un fléau dangereux qui menace l’humanité se déchaîne. Que faudrait-il pour que cela puisse arriver dans la vraie vie?

Comme ce n’est pas une erreur délibérée, excluons le génie génétique: couper et épisser des gènes. Alors, la manière la plus probable pour qu’une telle catastrophe puisse se produire est si le chercheur rend involontairement plus dangereuse une maladie existante, en permettant, par exemple, à une maladie qui affecte les animaux de muter, de sorte qu’elle traverse la barrière des espèces et infecte des humains.

Mais quelles conditions permettraient à un tel pathogène de muter sans intervention directe? Un scénario plausible serait une grande population animale porteuse du pathogène et vivant en promiscuité, ce qui permettrait à la maladie de se transmettre facilement et lui donnerait de nombreuses occasions de muter. Une faible diversité génétique parmi ces animaux favoriserait encore plus la transmission à cause d’un système immunitaire similaire, d’autant plus si leurs conditions de vie compromettent leur système immunitaire, par exemple un environnement sale, le stress d’un environnement artificiel et surpeuplé. La promiscuité permet également le développement plus concentré de l’agent pathogène dans l’air, les matières fécales des animaux et leur urine. L’ammoniac produit par leurs déjections contribue également au stress et réduit leur résistance aux infections.

Nous voulons peut-être traiter les animaux avec des antimicrobiens afin de traiter des maladies ou en traitement au titre préventif? Cela augmentera également le risque du développement de microbes résistants.

Voilà maintenant toutes les conditions réunies pour la mutation d’un pathogène. Le prochain pas est le passage du pathogène de l’animal à l’homme. La ventilation des espaces de vie des animaux peut envoyer le pathogène vers le monde extérieur où les gens peuvent entrer en contact avec lui directement ou par transmission d’animaux sauvages. Nous pourrions également répandre leurs déjections comme engrais sur les champs, augmentant ainsi le risque de transmission à l’homme. Les gens qui soignent les animaux et veillent sur eux entrent d’ailleurs en contact direct avec les animaux.

Une autre façon de propager la maladie serait de transporter les animaux infectés vers un endroit où nous les abattons, puis de les faire découper par des personnes travaillant en promiscuité. Tous les agents pathogènes présents dans le sang, les selles, l’urine ou la chair des cadavres auraient amplement l’occasion d’infecter les gens, par inhalation ou ingestion.

Une fois que nous aurons découpé les cadavres, nous allons vouloir transporter les morceaux vers des endroits où les gens pourront acheter ces morceaux d’animaux infectés pour les manger. S’ils ne préparent pas correctement les morceaux, ils risquent d’être infectés par le pathogène.

Attends une seconde. Je viens d’avoir une pensée: est-ce que je décris l’intrigue pour un livre ou un film … ou est-ce que je décris la réalité de l’élevage de bétail pour la consommation humaine?

Et il y a un autre scénario possible: quelqu’un entre dans une zone inexplorée et revient contaminé par une infection inconnue. Encore une fois, c’est la réalité, quelque chose qui se passe pratiquement tous les jours alors que nous empiétons sur les zones de nature sauvage pour les ouvrir à l’agriculture ou aux infrastructures, ou pour chasser la «viande de brousse». Heureusement, la plupart de ces infections ne franchissent pas la barrière entre les espèces pour se propager parmi les êtres humains. Mais quand ils le font, nous nous retrouvons avec des cauchemars comme le SIDA, l’Ebola, le SRAS, etc.

Depuis des années, des scientifiques et des organisations intergouvernementales nous mettent en garde contre les risques croissants d’émergence d’une nouvelle maladie. Comment le monde a-t-il réagi? Par le statu quo: ce qui signifie ignorer les avertissements et ensuite abattre «préventivement» des millions d’animaux d’élevage chaque fois qu’un foyer est détecté.

La Covid-19 montre les dangers de cette stratégie: l’épidémie s’était déjà propagée avant d’être reconnue et maintenant, nous tous, nous en payons le prix d’une pandémie: des millions de morts et de malades, des coûts pour l’économie et la santé mentale des gens, l’effet sur l’éducation de nos enfants et ainsi de suite. Trop tard, nous apprenons aussi jusqu’à quel point les médias peuvent être dangereux quand ils laissent proliférer des théories complotistes de charlatans qui contredisent les conseils des médecins et scientifiques en ce qui concerne le port du masque et la distanciation sociale. On ne peut pas continuer comme ça. La première étape pour changer la donne doit être de réfléchir sérieusement aux pratiques de l’élevage. Depuis des années déjà, nous ignorons les effets négatifs à long terme de l’industrie sur l’environnement, la santé publique, le climat, la biodiversité, etc. Le grand public paie le prix de tous les dommages qui en résultent et l’industrie en récolte les fruits: même quand ils doivent abattre les animaux à titre préventif, les éleveurs sont renfloués par le contribuable.

Que la Covid-19 serve de signal d’alarme!

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Nigel Franks

Animal rights and environment: not a terrorist nor an extremist